Walking Disaster

Après m'être rapidement échappé du bar pour fuir les deux adolescentes de mon âge, je rabats la capuche de mon sweat sur mon visage, histoire de passer encore plus inaperçu. Je mets mes écouteurs dans mes oreilles et enclenche Drown de Bring Me The Horizon. Aux premières notes de ce chef d'œuvre, je me détends immédiatement. 


J'emprunte une rue sombre, mal éclairée. Depuis le temps que je traine dans ce quartier, j'ai appris à connaître par cœur la moindre de ces petites ruelles. La première fois que je suis venu ici remonte à deux ans, pourtant je m'en souviens comme si c'était hier. Je cherchais du travail. Et à cet instant, tout aurait pu me convenir. J'avais besoin d'argent. Ma famille avait besoin d'argent.


Quelques mois plus tôt, mon père était rentré du travail, pleurant toutes les larmes de son corps. Il ne cessait de répéter que tout était foutu, que nous allions mourir. Après s'être calmé, il nous a appris que son patron l'avait viré. Sans raison valable. Et ce n'est pas avec le petit salaire de ma mère que nous aurions pu vire comme avant. Au début, ça avait suffit. Après deux semaines, même en achetant l'essentiel, tout empirait. Alors j'ai trouvé un travail pour aider mes parents.


À l'époque, j'étais déjà plutôt timide. Je ne sais pas quel moyen, mais deux gars de ma classe avaient appris que ma famille avait des soucis financiers. Les deux adolescents l'ont répété à tout le monde, réduisant à néant mes espoirs de m'en sortir. Déjà que j'étais catégorisé comme bizarre, c'était encore pire avec ça. Maintenant, chaque jour où je dois aller au lycée est un calvaire. Je vois bien que tous me regardent avec de la pitié, de la haine ou du dégoût. 


Seul mon meilleur ami, Ashton Irwin n'a rien changé à sa façon de se comporter avec moi.


Autant le dire clairement, je suis un désastre ambulant. Je ne suis pas doué pour les relations humaines, je suis d'une timidité presque maladive, et pour les gens je suis juste un garçon à ne pas fréquenter. Avec mes cheveux bleus et mon style punk rock, je passe simplement pour le plus gros drogué de la Terre. Évidemment je suis clairement loin de l'être, mais je ne fais rien pour prouver pour autres qu'ils ont tort. 


Je sais comment je vais finir. Je ne terminerais jamais mes études parce que je suis trop nul, donc je me trouverais un job pour subvenir à mes besoins. Mais je n'aurais jamais un grand avenir. Moi qui depuis tout petit voulait travailler dans la musique, je me suis contenté à l'idée de finir serveur. 


Je pousse la porte de chez moi et pénètre dans la petite maison. Je laisse mes chaussures à l'entrée avant de rejoindre mes parents qui m'attendent dans le salon. Je déglutis difficilement. Certes, nous avons tous gardé de "notre vie d'avant", mais cela a été un grand sacrifice. Mon père est debout derrière ma mère, ses mains placées sur les épaules de cette dernière. Tous deux se retournent vers moi en m'entendant arriver. Mon cœur de pince en les voyant me regarder avec amour.


  « Tu as passé une bonne journée mon chéri ? Demande la femme blonde.


- Oui, et toi ?


- Comme d'habitude. Je nous ai fait à manger.


- Je n'ai pas faim. Je vais monter me coucher, j'ai cours demain. »


J'embrasse leurs joues, leur fait un signe de la main et grimpe rapidement les escaliers. Quelques secondes plus tard, je m'affale sur  mon lit, épuisé. J'ai beau dire à mes parents que je n'ai pas faim, mais j'entends pourtant mon ventre réclamer quelque chose. Depuis que mon père n'a plus de travail, j'ai réduit ma consommation de nourriture par trois. Autant dire que j'ai perdu beaucoup de poids même si je n'étais pas gros. 


Avec le temps j'ai appris à ignorer la faim qui tiraille mes entrailles, mais de plus en plus souvent, je perds le contrôle de mes émotions, comme maintenant. Je sens une larme rouler sur ma joue pâle. Je passe mes mains sur mon visage, accusant ma fatigue de me rendre sensible. Malgré ça, je sais ce qui me blesse le plus : j'aimerais irrémédiablement changer de vie.


D'ailleurs, aujourd'hui, ce que les gens considèrent comme ma vie, je le vois plus un cauchemar. Un cauchemar accroché à mon âme. Depuis bien longtemps j'ai perdu ma motivation. Je ne suis pas ce que l'on peut appeler un suicidaire, mais je regrette vraiment d'être en vie. J'ai simplement envie que tout s'arrête, que je retrouve ma vie d'avant, celle où je savais qui j'étais réellement.  


Par moments j'en envie de me lever et de tout détruire à côté de moi. J'en ai marre de rester là, les bras ballants, à attendre que les choses viennent. Comme désastre ambulant on ne fait pas mieux ! Souvent, je rêve de fuir mon futur, de partir loin d'ici, dans un monde où je ne pourrais plus jamais souffrir. Mais la réalité me rattrape toujours rapidement, me rappellent que je suis enchaîné à mon avenir.


Dépité, je roule sur mon flanc gauche avant de fermer mes yeux et de m'endormir, encore vêtu de mes vêtements.   

Comment